Et si vous étiez un YAR ?
Ce qui est bien avec le Kunstenfestivaldesarts, c’est qu’il s’agit de bien plus qu’un festival de « création artistique vivante et actuelle », comme défini par son directeur, Christophe Slagmuylder. Le groupe de Young Art Reporters (YAR) dont je fais partie en est une des preuves. « Inviter un groupe de jeunes à voir le festival comme leur terrain de jeu », n’est-ce pas génial comme idée ?
Le fait de permettre à des étudiants de rencontrer certains des comédiens, réalisateurs, chorégraphes, communicateurs ou producteurs qui participent au festival témoigne de l’un des principaux objectifs du « Kunst », à savoir : questionner les idées via le décloisonnement. J’entends par là le fait de permettre à des amateurs de se frotter à des professionnels. À l’instar d’un Milo Rau (référence incontournable des scènes internationales qui inclut des amateurs dans son casting), le « Kunst » permet à de « futur-pros » de la communication de s’immerger dans ce monde qui les intéresse, aux côtés et sous la tutelle de « déjà-pros », qui n’hésitent pas à nous faire part de leur expérience via un cycle de formation multimédia.
En ce qui concerne la programmation du festival, je me suis régalé ! C’est via Banataba, le travail du danseur, chorégraphe et metteur en scène congolais Faustin Linyekula que, le 4 mai 2018, j’ai entamé mon voyage dans un Bruxelles devenu monde. Un monde des idées, dans lequel la prise de risque est privilégiée à la valeur assurée. Un monde, dans lequel la simplification est constamment remise en question, à l’image de cet artiste, qui interroge le processus de décolonisation mené par la Belgique dans son Congo natal. Témoin de la dissémination du patrimoine congolais dans des musées occidentaux, Faustin se sert de son art pour tenter de relier la mémoire des ancêtres aux générations à venir et ainsi réécrire l’Histoire de son pays au présent.
La prochaine étape de ce tour du monde m’a fait atterrir à La Plaza de l’excellent El Conde de Torrefiel. Je n’avais jamais entendu parler de ce duo helvético-espagnol, mais une chose est sûre : je ne suis pas près d’oublier cette expérience.
L’œuvre commence par une phase de méditation au cours de laquelle le public est confronté à une scène recouverte d’un flamboyant tapis de fleurs. Rien de révolutionnaire... Jusqu’à ce que des phrases d’une remarquable lucidité soient projetées au-dessus de ce tableau coloré. Des phrases simples, qui traitent de sujets qui nous parlent à tous, mais sous des angles différents. Progressivement remplacée par 10 comédiens aux visages recouverts de tissus beiges, cette nature morte laisse place à des situations de routine que l’on pourrait retrouver sur de nombreuses places publiques.
Des phrases à forte connotation philosophique et un tableau vivant rappelant la plupart des villes occidentales (tellement elles finissent à toutes se ressembler) : voilà les outils qu’utilise El Conde de Torrefiel pour caricaturer la société dans laquelle nous évoluons. Bon nombre de sujets dérangeants tels que le racisme, la pornographie ou l’alcoolisme y sont abordés avec une crudité déconcertante. L’espace-temps est troublant, mais parvient à nous faire prendre un certain recul pour observer notre époque depuis une autre dimension. Le regard est critique et le constat est sévère.
© Jérémie De Weck |
C’est maintenant au tour du fameux Milo Rau. Tout le monde m’en avait tellement parlé que je commençais à avoir de grandes attentes concernant La Reprise : Histoire(s) du Théâtre (I). Premièrement, je trouve l’idée de s’estimer capable d’écrire l’Histoire de la plus ancienne forme d’art de l’humanité un peu prétentieuse. Mais bon, peut-être que le gars est balèze, qui sait ?
C’est donc avec un esprit critique que je me rends à cette production. Mais quelle production, s’il vous plaît ! Je ne sais pas si c’est l’excellente mise en scène qui m’a impressionnée ou le simple fait que « c’était la première fois que je voyais du Milo », mais j’ai été captivé du début à la fin. Les effets sont justes, les comédiens endossent leur rôle à merveille, l’éclairage et le son frôlent la perfection... Bref, esthétiquement, il n’y avait rien à dire ! Mais bon moi, en tant qu’étudiant en communication, j’accorde beaucoup d’importance au message de l’œuvre. Et là, j’ai été déçu. Parce que si les dialogues et les faits ont beau être parfaitement calibrés, le contenu historique a été, pour ma part, un peu trop négligé.
Arrive ensuite l’escale brésilienne du voyage. À mon plus grand bonheur, puisque je viens justement d’y passer 7 splendides mois en Erasmus. Mes retrouvailles avec le pays de la samba se font via Inoah, l’œuvre d’un certain Bruno Beltrão, chorégraphe. Avant de m’y rendre, on m’avait dit que j’assisterais à un grand moment de danse hip hop. Vaste description ! Mais c’est à beaucoup plus que ça que j’ai eu droit une fois la salle plongée dans l’obscurité. Car la chorégraphie du virtuose brésilien combine subtilement des influences à la fois traditionnelles, urbaines et contemporaines. Bruno marie plusieurs styles de danse au sein d’une œuvre abstraite, dont il se sert pour questionner les codes qui régissent notre existence. Une merveille !
La deuxième étape de mon aventure brésilienne s’intitule aCORdo. Imaginée par Alice Ripoll, psychanalyste de formation, cette œuvre a une très grande connotation politique. Le décor et la mise en scène sont simples et surtout minimalistes. Un peu comme les rares contacts établis entre les différentes classes qui fondent nos sociétés.
Le titre a une double, voire triple, signification :
- le mot ‘acordo’ veut littéralement dire ‘accord’, en portugais référence aux accords établis entre l’État brésilien et la police fédérale pour empêcher les habitants des favelas de s’approcher des lieux touristiques à la veille de la Coupe du Monde de football et les Jeux Olympiques qu’a accueilli le Brésil en 2014 et 2016 ;
- les trois lettres écrites en majuscules ‘COR’, se traduisent par le mot ‘couleur’ en français référence explicite au racisme ambiant auquel les noirs ou autres « non-blancs » doivent faire face dans notre société hyper-ségrégationniste ;
- la troisième interprétation, plus personnelle, ferait référence au verbe conjugué « acordo », qui veut dire «je me réveille », en portugais référence au réveil des populations nécessaire au monde pour éviter d’encore plus sombrer dans le nationalisme, le conservatisme, le racisme et la xénophobie.
J’ai adoré le fait que, au même titre que les hiérarchies sociales, la frontière scène-salle soit remise en question lors de cette performance. Le public est directement sollicité par les danseurs, ce qui nous permet de sortir de notre zone de confort pour nous plonger dans la réalité de ces danseurs intimidants.
L’avantage, quand on bénéficie du statut de Young Art Reporter, c’est que notre expérience ne se résume pas « que » aux formations, représentations ou débats/talks organisés dans le cadre du festival. On nous offre par exemple l’opportunité d’assister à des répétitions. Une toute autre expérience. Car vous en voyez beaucoup vous, des gens qui discutent avec l’équipe, prennent des photos ; voire des notes ou des enregistrements, lors des spectacles ?
J’ai donc profité de cette opportunité pour assister aux répétitions générales de trois collectifs, on ne peut plus intéressants et différents les uns des autres :
- qu’il s’agisse du très dynamique fABULEUS via lequel un groupe hétérogène d’adolescents porte un regard critique sur l’héritage des événements de 1968, le tout sous la tutelle d’un excellent Michiel Vandevelde (voir critique de Young Art Reporter Lucie Yerlès) ;
- de la très controversée mais pertinente œuvre Macaquinhos, qui nous proposent une relecture de la domination à la fois géographique et corporelle du Nord (la tête) sur le Sud (l’anus) en se basant sur les Épistémologies du Sud de l’auteur portugais Boaventura ;
- ou alors de l’incroyable prouesse artistique que nous offrent Joris Lacoste et Pierre-Yves Macé dans leur « insupportablement délicieuse » Suite n°3 – Europe présentée dans le cadre de leur brillante Encyclopédie de la Parole.
Participer au Kunstenfestivaldesarts en tant que YAR, c’est un peu comme faire un tour du monde en première classe. On vous accueille partout avec un sourire, qu’il soit belge, congolais, espagnol, suisse ou brésilien.
Par Young Art Reporter Gabriel
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